0 - 1
jusqu'a l'heure actuelle. (10h 33 m PST, 7/4/2014)
Pour La France, une victoire serait beaucoup assez importante.
France-Allemagne, la guerre sans fin
LE MONDE | • Mis à jour le |Rémi Dupré et Benoît Hopquin
C'est d'une guerre sans mort dont il est ici question. Elle n'est faite que de mots et de pleurs, de buts avalés comme ciguë et de marques de crampons indélébiles, sur les mollets et dans les mémoires. La rivalité footballistique entre la France et l'Allemagne est une bisbille tragi-comique. Il n'empêche : la perspective d'une revoyure entre les deux équipes, vendredi 4 juillet, au stade Maracana, à Rio, en quarts de finale de la Coupe du monde, a réveillé un antagonisme profond, une affaire lointaine jamais soldée entre ces pays.
Au plus loin qu'il fut poussé, ce conflit de voisinage alla jusqu'à un knock-out. C'était en 1982, à Séville, en demi-finales de la Coupe du monde. Le gardien Harald Schumacher avait odieusement séché Patrick Battiston. Le joueur français, sitôt rentré sur le terrain, se retrouvait sitôt sorti, avec un traumatisme crânien, deux dents en moins et une mâchoire fracturée. Ce n'était pas Sarajevo mais, dans le jargon du foot, cela s'appelle quand même un attentat. Et, comme l'assassinat de l'archiduc d'Autriche, l'agression sur Battiston, non sanctionnée par l'arbitre, déclencha les hostilités.
On ne va pas refaire le match de 1982 (3-3 après prolongations) qui se termina par l'élimination de la France de Michel Platini aux tirs au but. Terrible issue d'une rencontre à l'intensité dramatique rare, un duel que les Bleus ne pouvaient pasperdre et qu'ils laissèrent échapper par trop de panache. Ce jour-là, la France apprit que le football pouvait être d'une cruauté gratuite et faire expier les victimes. Même la victoire des Bleus en 1998 ne suffit à guérir la blessure à l'âme.
RAGE IMPUISSANTE
Il est curieux de voir comment, trente-deux ans plus tard, dans notre cortex national, se réveille le trauma. A la simple évocation de l'affiche, c'est comme une vase qu'on remue. Les souvenirs remontent. Un ancien officier de gendarmerie nous a envoyé cette anecdote. Il dirigeait en 1982 un groupe du côté de laBourgogne. Le lendemain du match, ses hommes s'étaient postés d'eux-mêmes sur une portion de route régulièrement empruntée par les touristes allemands. Ils avaient systématiquement verbalisé les compatriotes d'Harald Schumacher. « Le nombre de PV battit tous les records », se souvient-il. Le gradé se retrouva au soir devant cette pile de contredanses vengeresses. Il se chargea sportivement « d'arrêter un nombre important de procès-verbaux assez partiaux ».
Lire les entretiens : Harald Schumacher : « Je n'en garde que du positif de ce match » et Patrick Battiston : « Si la France avait gagné, on aurait occulté ce qui m'est arrivé »
« Que faisiez-vous le 8 juillet 1982 à 23 heures », écrivait Pierre-Louis Basse en sous-titre de son livre Séville 82 France-Allemagne : le match du siècle (Edition Privé). Qui a plus de quarante ans a forcément la réponse : devant la télé àpleurer ou hurler de rage impuissante. En 1986, au Mexique, il n'y eut pas de consolation, d'affront lavé. L'équipe de France fut à nouveau éliminée au même stade par la même équipe. Ce fut cette fois au bout d'un non-match des Bleus. Comme s'il était écrit que l'équipe de « Platoche » garderait de sa grandiose traversée du football cette perpétuelle humiliation. Depuis, les deux équipes ne se sont plus affrontées en compétition officielle. Valait donc la phrase de Gambetta, au sujet de l'Alsace-Lorraine à reconquérir : « Y penser toujours, en parler jamais. »
Et c'est aujourd'hui à une bande de jeunots qu'est demandé de réparer le dol subi. Didier Deschamps est un homme avisé qui sait que de pression, point trop n'en faut. Le sélectionneur national refuse donc que ses garçons endossent ce costume de justiciers. II le dit, le répète depuis plusieurs jours : « Il ne faut pas seréférer au passé. Il ne faut pas parler de revanche. C'était il y a plus de trente ans. Mes joueurs n'étaient pas nés. Quand tu n'es pas né… Ils ne peuvent pas parlerde ce qui s'est passé. On ne va pas jouer les vieux combattants. Il faut seconcentrer sur le présent et sur vendredi. »
« DÉNOUEMENT CRUEL »
Voila pour le sélectionneur, en sa sagesse matoise. Pour l'homme, en sa passion intacte, c'est une autre histoire. « Moi j'étais né lors du Mondial 82. J'avais 14 ans. Ce sont mes premiers souvenirs de l'équipe de France. Il y a eu un dénouement cruel. C'est bien d'en reparler et tant mieux. Les joueurs qui ont vécu ça vont êtremis à l'honneur. C'était un grand moment sur le plan émotionnel mais très triste. C'est pour ça que le foot a ce côté magique. Ça reste dans l'esprit des gens. »
Interrogé sur 1982, les joueurs, eux, sortent leur certificat de naissance, avec une belle et douteuse unanimité. Mamadou Sakho, 24 ans : « On en a parlé entre nous mais je n'étais pas né donc je ne peux pas m'exprimer là-dessus. » Blaise Matuidi, 27 ans, dit de même. Mais, jugeant sans doute peu poli de bazarder Platini au rayon des antiquailles, le respectueux jeune homme ajoute : « On ne ressent aucun complexe. Je suis fier de ce que la France a fait dans son passé récent en 1998, en 2000 et en 2006. Il y a eu 1982 et 1986, malheureusement… 1982, ça m'évoque Battiston et le contact avec le gardien allemand. En 1986, il y a eu la demi-finale perdue 2-0 alors qu'ils s'étaient qualifiés contre le Brésil, en quarts, à l'issue d'un grand match. Ils avaient un peu péché derrière en demie. Je n'étais pas né mais j'ai regardé un peu les vidéos. »
Pour le reste, fin de non-recevoir pour le cours d'histoire et même, à entendre les discours, pour la leçon de paléontologie du foot. Côté allemand, c'est le dédain. France-Allemagne, à les entendre, est une affaire franco-française. Le sélectionneur Joachim Löw élude donc. Mais, pour allumer la mèche, réveiller les rancoeurs, il est Oliver Kahn, le gardien de l'équipe d'Allemagne de 1993 à 2006, qui affirme d'une lippe dédaigneuse que « la France n'est pas une grande équipe ». Et voilà que, d'un gardien l'autre, c'est toute la morgue d'Harald Schumacher qui resurgit, ses incessantes provocations, son impatience non dissimulée tandis qu'on évacuait sa victime. Décidément, ce passé ne passe pas.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire